Voici un passage d'un géographe et pédagogue reconnu et local du Livradois-Forez, Lucien Gachon. Cet extrait de 1966 est assez exemplaire en regard de l'activité industrielle en déclin qui touche la Ville de Courpière, car il dépeint le caractère auvergnat dans une époque où l'économie industrielle inspirait confiance et pérennité.
l'Auvergne littéraire - 188-189, page 31 :
"L'île Auvergnate, presque Autarcique
... Matériellement, économiquement, l'Auvergne, séculairement et comparativement si peuplée, vivait d'elle-même, sur elle-même. Essentiellement : de ses propres trésors. Mais comprenons que ces trésors n'étaient point donnés. Tout au contraire, il fallait que les Auvergnats les arrachent à leurs terroirs et à leurs saisons. De la sorte, l'Auvergne était doublement forte, libre. Economiquement, il ne lui manquait guère que du sel et du fer. donc, indépendance de droit. Liberté, libre-arbitre de droit et de fait. alors que les données de la géographie physique font croire, aux contemporains vialirous, aux citadins, que l'existence humaine était strictement soumise et contrainte, "déterminée" par les forces naturelles! Ainsi oublie-t-on, méconnaît-on, erreur grossière cependant, ce que pouvaient les Auvergnats d'avant ce moment de la grande industrie concentrée, bien qu'ils fussent cent fois et mille fois moins armés, matériellement, énergétiquement, mécaniquement, que les Auvergnats d'à présent. Force de la volonté humaine, déperdition, affaiblissement de l'énergie psychique, justement pour surabondance de machines et d'énergie énergétique. Quand on en vient à croire que celle-ci : houille, pétrole, électricité, peut suppléer à l'énergie psychique, on a perdu le sens même de l'Histoire.
L'une des explications fondamentales de la psychologie collective de l'Auvergnat au long des siècles passés se trouve là : erreur grossière, erreur du déterminisme métaphysique, suivant les trompeuses suggestions de beaucoup d'apparences de la "science" d'à présent ; mais raison du possibilisme : excuses pour cet autre mot en isme. Oui, l'Auvergnat a voulu et a pu puissamment, quoiqu'avec ses seuls bras et ses bêtes de trait. Contre les pentes déclives. Contre les gels noirs et les torrides dessications. Contre le buisson et la ronce. Contre tous les excès et toutes les violences physiques. Contre toute la puissance proliférante de la végétation parasite ou inutile. Ah ! les victoires du paysan et de l'artisan d'Auvergne tout au long de quatre ou cinq millénaires, bien avant Vercingétorix déjà. Ces populations soumises et victorieuses, pauvres et prolifiques ; la fameuse pépinière humaine que l'Auvergne a été des siècles et des millénaires.
Car si les routes pour marchandises transportées sur roues étaient avant le XVIIIe siècle si malaisées, de si faible débit, autant lieux de coupes-gorges, il n'en allait pas de même des innombrables chemins et voies de pied par lesquels l'Auvergnat allait et venait en aisance, plaisir et sécurité quand les jambes n'avaient que le corps à porter avec le baluchon. Toute marche, fît-on dix ou quinze lieues le même jour, était promenade et découverte, exploration, renouvellement des idées et des sentiments."